Nous sommes en fouille générale depuis quatre jours. Au moins deux fois par an, chaque prison du Texas passe par ce qui est appelé une fouille semestrielle. Il s’agit d’une sorte de temps de vacances déplaisantes pour nous puisque toutes les activités habituelles sont réduites à une pause forcée lors de laquelle nous sommes enfermés dans nos cellules 24 heures par jour en-dehors de quelques exceptions. Trois fois par semaine, nous avons le droit d’aller prendre une douche et un petit nombre de détenus considérés comme des «travailleurs indispensables» sont autorisés à être escortés chaque jour vers leur lieu de travail.
Ces temps de fouille durent généralement 10 à 14 jours et peuvent devenir assez fastidieux.
La nourriture durant ce temps est… intéressante… Nos repas habituels sont simplifiés et se réduisent à deux sandwichs secs, habituellement avec un type de produit carné pour l’un et une petite cuillère de beurre de cacahuètes mélangé à de la confiture ou du sirop pour l’autre. En 13 ans, il m’est arrivé plus d’une fois d’être oublié lors de la distribution des sacs à repas, appelés des « Johnnies ».
Pendant le temps de fouille, il ne nous est pas permis de regarder la télévision ou d’utiliser les téléphones pour passer des appels. Par ailleurs, toute activité extérieure à la cellule ou au dortoir est suspendue. Je suis privilégié de loger actuellement dans un dortoir et non dans un bloc de cellules. Dans une cellule, vous vous retrouvez enfermés avec votre camarade de cellule dans un espace de 1.8 m sur 2.7 m durant toute la fouille. Dans le dortoir, nous ne disposons pas de cellules mais chacun d’un espace personnel appelé « compartiment » (environ 1.5 m sur 2.1 m) avec des murs de 1.2 m de haut sur trois côtés. Ces compartiments offrent juste un petit peu d’intimité et font que nous avons droit à un peu plus de mouvements que ceux en cellule vu qu’il nous faut faire des allers-venues vers l’espace avec les WC communs chaque fois que nécessaire. Le dortoir dans lequel je me trouve compte 33 hommes et c’est le plus petit de la prison Wynne Unit.
C’est hier que notre dortoir est passé par la fouille. Pour cela, il nous faut rassembler toutes nos affaires (livres, produits d’hygiène, matériel d’écriture et nourriture achetée au magasin*) et les porter vers le lieu prévu à cet effet. Pouvez-vous imaginer rassembler tous vos biens et les porter sur votre dos ? Nous le faisons régulièrement ici. Nous faisons de notre mieux pour aider les hommes les plus âgés parce qu’on ne leur manifeste généralement que peu de patience lorsqu’ils ont de la peine.
Une fois arrivé dans la salle de fouille, vous voyez une lignée de tables sur votre droite avec des agents et d’autres membres du personnel de la prison assis derrière. Sur la gauche, vous voyez des lignes de détenus vêtus d’un caleçon et assis sur le sol en ciment au milieu de leurs sacs. La pièce est vieille, un peu sombre et l'air y est lourd malgré les quelques ventilateurs en marche. A l’avant de chaque lignée se trouve une caisse de type industriel dans laquelle les détenus placent tous leurs biens. Tout doit tenir dans cette caisse en-dehors de quelques objets tels que les chaussures et nos uniformes ainsi que les appareils tels que la radio, le ventilateur ou encore la bouilloire électrique. Tout ce qui n’a pas de place dans la caisse doit être envoyé chez quelqu’un à l’extérieur et vous risquez même de recevoir une amende disciplinaire pour «Excès de biens». Vous pouvez recevoir une telle amende ici pour à peu près tout ce que vous pouvez imaginer. Je suis sincèrement convaincu que même les personnes qui rédigent ces règles seraient incapables de les respecter toutes. Je suis sûr que chaque jour, inconsciemment ou accidentellement, je manque de respect à une douzaine de règles. Cela peut vraiment devenir source de frustration.
Je suis finalement parvenu à l’entrée de ma file et ai placé mes affaires dans la caisse. Un agent commence à m’appeler à sa table et mon cœur s’est immédiatement senti menacé. C’est difficile avec cet homme, car il est excessivement zélé pour suivre très minutieusement les règles de la prison. Il a commencé à se plaindre au sujet de tout. Je lui ai répondu poliment et me suis senti reconnaissant envers l’autre agent assis derrière cette même table qui lui a dit ceci : «Calme-toi et commence.»
J’ai pris un de mes draps et l’ai étendu sur le sol sale. Après examen de chacune de mes affaires (chaque photo est regardée, chaque lettre est feuilletée, chaque paquet de nourriture est touché, etc.), ils l’ont jetée par terre sur ce drap. Mon radio-réveil est de ce fait tombé au sol, mais fonctionne heureusement encore ! :) Mes timbres ont été sortis de l’enveloppe dans laquelle je les place et éparpillés au-dessus de mes livres, de mes vêtements et de ma nourriture se trouvant déjà au sol. Mes chaussures, lancées sur mes T-shirts, y ont laissé des traces noires. Mon petit tube de poivre s’est un peu ouvert et du poivre s’est donc répandu partout. Et pourtant ce fut encore facile. Une fois je me suis retrouvé avec du chocolat chaud et du café renversés sur toutes mes affaires. Une autre fois, c’était du shampoing et de la mayonnaise. En fait vous ne savez jamais ce qui va vous arriver.
Par contre, autant le premier agent était négligent avec mes affaires, autant le second était tout son contraire. Il était aimable et attentionné. Après avoir ouvert et déplacé quelque chose, il le fermait et le replaçait là où il l’avait pris avant de le placer sur mon drap. Il a fait des commentaires tels que : «Eh bien, tu aimes le riz, toi !» ou «Tu Spikes, hein ?» en voyant le nom de marque de mon gel pour cheveux, avant de commencer à rire joyeusement. Ce fut une touche rafraîchissante de gentillesse dans une situation moche et désagréable.
Finalement, ma fouille s’est achevée et j’ai tout récupéré, hormis un magazine qui ne portait pas mon nom. Je n’ai jamais vu cette règle nulle part, mais tant de règles ici vous surprennent, venant de nulle part. Mais dans ce cas il s’agissait d’une bagatelle.
J’ai tiré mon drap sur le sol sale vers le côté opposé de la salle et essayé de réorganiser toutes les affaires en sacs afin de pouvoir les rapporter dans mon compartiment. J’étais trempé de sueur et sale après être resté assis sur le sol cimenté crasseux, mais soulagé que cette expérience soit désormais derrière moi. C’était pour moi la 27e fouille en 13 ans ! Et ce n’est pas en voie de devenir plus amusant avec le temps !
Il m’a fallu quelques heures pour tout remettre en place dans mon compartiment, pour nettoyer ce dernier (beaucoup de poussière et de saleté se déposent partout pendant les fouilles) et pour me laver et laver mes vêtements. Je ne peux décrire le soulagement que je ressens lorsque tout est fini !
Heureusement pour moi que je fais partie des «travailleurs indispensables» et que du coup généralement dès le lendemain de ma fouille je me trouve à mon poste de travail de 4h30 à 11h30 du matin. Après ces heures de travail, je dois chaque jour me dépêcher de retourner à mon compartiment pour des heures de silence et de solitude en attendant la fin de ma 27e période de fouille générale semestrielle.
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