Manuel a 30 ans. Il vient d’El Salvador et s’est trouvé ici à l’unité carcérale hospitalière de Galveston pour une intervention chirurgicale visant à ôter deux tumeurs bénignes, l’une à l’arrière de sa tête et une autre sur le côté droit de son torse.
La première chose que j’ai notée à son sujet est que ses sourcils sont tatoués. J’ai vu beaucoup de choses durant mes dix-sept années d’incarcération, mais ce n’est pas commun de voir un homme aux sourcils tatoués. Cela a immédiatement fait naître une centaine de questions chez moi.
Il ne m’a pas beaucoup fallu attendre pour commencer à obtenir des réponses.
Je n’étais pas enthousiaste lorsque j’ai appris que j’allais devoir passer six semaines à l’unité carcérale hospitalière en vue des trente séances de radiothérapie prévues pour lutter contre une future récidive du liposarcome dans le côté gauche de mon abdomen. J’allais devoir quitter tous mes amis, mon travail, le dortoir où je venais de trouver un nouveau degré de liberté et de confort dans un lieu globalement très hideux. Six semaines sans la possibilité de passer des appels et un contact très limité avec mes proches. Six semaines sans la possibilité d’embrasser ma famille. Six semaines loin de mon Eglise et de tous mes frères de l’unité Wynne.
J’ai pensé que j’allais probablement souffrir d’ennui et de solitude, sans rien avoir à faire et sans amis avec qui tout partager. Ce n'est pas vraiment un excellent environnement pour faire face à la réalité de ma situation actuelle.
Mais Dieu m’a alors parlé et m’a rappelé un principe de base de la vie en prison qu’il m’avait enseigné dix-sept ans plus tôt. J’avais demandé un détenu d'un âge avancé de la maison d’arrêt du comté, qui avait déjà passé plus de treize ans en détention, comment il tenait le coup. C'était quand la longueur de la condamnation qui venait d'être prononcée à mon égard me causait un sentiment d’étouffement. Elle représentait une montagne d’impossibilité qui m’empêchait presque d’aller de l’avant sans la pensée d’abandonner.
« Il y a deux volets à considérer, me dit-il. Tu vis un jour à la fois. Si tu regardes à la réalité de 40 ans, cela pourrait te tuer. Mais tu peux toujours te lever le matin et vivre un nouveau jour.
— Et la deuxième chose à considérer ? demandai-je.
— Eh bien… tu dois trouver un but à poursuivre ici à l’intérieur, une raison de te lever chaque matin. Tu as ta famille et tes amis dehors, mais ta vie ne se passe pas à l’extérieur pour l’instant. Elle se passe ici. Fais-en quelque chose. »
C’est ce que j’ai fait. Et il y a quelques semaines de cela, avant de venir ici à Galveston, Dieu m’a rappelé ce que c’était. Il a commencé à me donner des visions de tous les hommes, malades et solitaires qui viendraient dans l’unité hospitalière durant les six semaines lors desquelles je m’y trouverais aussi. Je m’y suis vu prier pour eux, leur rendre service et prononcer des paroles de vie sur des situations désespérées.
Manuel est l’un de ces hommes. Une enfance marquée par la pauvreté et un père absent parce que décédé l’ont poussé à immigrer aux Etats-Unis il y a deux ans. Il a laissé derrière lui au pays trois filles dans une réalité faite de laideur et de violence. Le gang local avait déjà tué plusieurs de ses proches amis et le menaçaient de s’en prendre à sa famille. Un tatouage ridicule au-dessus de son sourcil gauche, qui disait « L.A. Sur », a attiré l’attention sur lui de violents gangs salvadoriens. Tous les gangs détruisant l’Amérique Centrale ont en fait leur origine à Los Angeles. Des déportations de masse ont renvoyé des centaines de membres dans cette partie du continent où leur organisation sous forme de cartels s’est développée comme une traînée de poudre. Et des familles simples comme celle de Manuel souffrent. Il a tatoué ses sourcils afin de couvrir les « mots offensifs » qui posaient problème.
J’étais impressionné par l’intelligence de Manuel, mais juste sous la surface, j’ai vu une lueur d’autre chose : une soif sincère de Dieu ! Cela ne m’a pas impressionné, mais cela m’a vraiment enthousiasmé. Il n’y rien que j’aime davantage que de pouvoir prendre part à l’œuvre de Dieu lorsqu’il touche puissamment la vie d’un homme.
Manuel est vraiment un homme loquace. Il m’a conté une histoire après l’autre au sujet de sa vie. Il m’a parlé de son enfance et comment son beau-père (le seul père qu’il ait jamais connu) a instillé l’intégrité, l’honneur et une forte éthique de travail en lui, son seul enfant non biologique. Mais ce fut chouette de voir sa réaction lorsque de temps à autre je l’interrompais pour faire une observation par rapport à ce que je voyais en lui, l’or caché sous la surface. Il bégayait et clignait des yeux pendant que mes paroles imprégnaient son être. Plusieurs fois, des larmes ont rempli ses yeux pendant une seconde avant qu’il ne reprenne le contrôle et ne poursuive ses récits.
Or des semences divines plantées portent toujours du fruit. Et au fil des quelques heures que nous avons passées ensemble, j’ai pu voir des changements significatifs en Manuel. Il a commencé à exprimer ses rêves alors que Dieu œuvrait en lui. Il a commencé à voir des possibilités là où auparavant tout semblait désespéré. Il a parlé du fait d’avoir commencé à lire la Bible et comment il prenait note de certains versets dans le but de les partager un jour avec sa fiancée qui est aussi la mère de sa fille cadette en El Salvador. Il a parlé du désir de vivre pour Jésus et de prendre son baptême ensemble avec sa future épouse dans la rivière Lempa près de son domicile. Il rêvait d’entreprises dont il avait le projet dans son cœur afin de pourvoir à une vie sécurisée pour sa famille.
Lorsque je l’ai rencontré, il était complètement bouleversé par sa condamnation à sept ans de prison. Après quelques heures seulement, nous étions en train de prier ensemble tard le soir après son opération, confiants que Dieu avait bel et bien un avenir beau et extraordinaire pour lui selon ce qu’il nous avait montré.
Manuel a quitté l’unité hospitalière le lendemain matin à trois heures. Il allait retourner dans son unité au centre sud du Texas. Il m’a réveillé sur son passage vers la sortie afin de me dire au-revoir. Je ne le reverrai peut-être jamais sur terre, mais je sais sans l’ombre d’un doute que sa vie ne sera plus jamais la même.
Je ne pouvais pas demander une meilleure manière de passer mon temps !
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