Bonjour, je m'appelle Sabine et j'ai créé ce blog pour publier les articles écrits par mon fiancé Jeff, un citoyen texan. En mars 2002, durant sa 27e année, il a été condamné à 40 ans de détention pour des crimes qu'il n'a jamais commis. La prison, ce n'est jamais facile. Mais être un homme innocent en prison, c'est tout simplement un cauchemar... Néanmoins, à travers les articles qu'il m'envoie et que je publie sur ce blog, il aime partager ses écrits venant de son cœur, un cœur qu'il a choisi de consacrer pleinement au Seigneur Jésus-Christ. L'injustice qu'il vit depuis si longtemps n'a pas changé cette décision. Notre prière est que les messages de ce blog puissent vous encourager, enrichir votre vie et vous permettre de mieux comprendre les voies de Dieu et peut-être même vous mettre au défi de sortir de votre propre zone de confort.

25 avril 2020 – Suffocation (Souvenir douloureux)

7 mars 2002 – Tribunal pénal du district n° 4 du comté de Tarrant, Ft Worth, Texas

Je crois que j'étouffe. Quelque chose fait pression sur ma poitrine, mais je veux désespérément respirer. J'ai envie de crier, mais rien ne fonctionne dans mon corps. Pourquoi mon visage est-il si chaud ?
Pourquoi n'entends-je rien autour de moi ? Je sais qu'ils sont là. Ce sont eux qui me font ça.
Enfin, pas tous. Je sais que ma mère est là aussi. Je l'ai vue avant que tout devienne noir. Elle était assise là, en train de pleurer. Est-ce que je pouvais l'entendre ? A-t-elle dit quelque chose ?

Depuis combien de temps suis-je comme ça ?

19 avril 2020 – Pas Votre Enfant


   J'ai été condamné il y a plus de dix-huit ans pour un crime horrible. C'est le genre de crime qui peut complètement ruiner votre vie, comme cela a été le cas pour la mienne. Les lois du Texas ont permis que je sois condamné sans la moindre preuve à l’exception des accusations portées contre moi. Depuis dix-huit ans maintenant, je me bats contre cette condamnation injustifiée et j'ai écrit et parlé jusqu'à en être épuisé du mal qui a permis que je sois incarcéré.
   Le problème est le suivant : la plupart des gens ne s’intéressent tout simplement pas à la question. Soit ils croient que j’exagère les faits et la réalité juridique, soit ils sont tellement biaisés contre mes accusations qu’ils construisent un mur psychologique géant qui ne peut être pénétré par la logique et la raison.
   « Agression sexuelle aggravée d’un enfant de moins de 14 ans » n’est pas le genre de chose qui fait immédiatement naître de la compassion ou de l’indulgence. Elle évoque plutôt des mots comme « odieux », « dépravation » et « mal à l’état pur ». Elle pousse également la plupart des gens à imaginer la situation concernant leur propre fille innocente de huit ans ou leur fils ou neveu de douze ans, très bien élevés et respectueux. Ils combattent mes attaques contre les lois injustes comme s’il s’agissait d’attaques personnelles contre leurs propres enfants.

19 avril 2020 – Je suis quelqu’un

J'ai toujours cru que j'étais appelé à laisser une empreinte dans ce monde. Je me suis toujours senti prospère et influent, même lorsque je n'étais ni l'un ni l'autre. Je ne sais pas comment cela est devenu une partie de mon identité de base, mais jamais un seul moment, je n'ai cru que ma vie serait définie comme celle d'une personne qui a simplement survécu en se débrouillant dans la vie.
Je suis né pour exceller.
Ce n'est pas une ambition égoïste. Plus souvent que non, cette volonté m'a conduit à un sacrifice extrême et à un travail incroyablement dur avec une vision de rendre le monde meilleur. Elle m'a souvent poussé à aller au-delà de ce qui est considéré comme logique ou normal par ceux qui m'entourent.
Ma jeunesse a été ponctuée de commentaires constants de mes aînés comme ceux-ci : "Ce n'est pas possible", ou "Tu ne peux pas le faire de cette façon-là". On m'a même dit plus d'une fois que je n'avais pas le droit d'attendre des autres qu'ils se préoccupent d'un problème avec autant de passion que moi.

Au fond, ma motivation et ma conviction qu'il était du devoir de chacun de chercher constamment des moyens d'avoir un impact sur notre monde ont mis la plupart des gens mal à l'aise.
Et je me sentais souvent très seul.

Les premières années de ma vie d'adulte ont été une bataille continue entre l'envie de faire plus et la pression toujours plus forte de ceux qui ne pouvaient pas accepter mon mode de pensée peu orthodoxe.
À 18 ans, j'ai quitté mon pays par mes propres moyens. À 20 ans, j'avais déjà fondé ma première organisation à but non lucratif qui s'est associée à une fondation d'Amérique Centrale travaillant avec les enfants des rues et les enfants nés avec le VIH. À 24 ans, j'avais obtenu un diplôme tout en dirigeant une deuxième organisation à but non lucratif travaillant dans deux pays d'Amérique Latine et une entreprise d'import/export à but lucratif qui servait à les financer. À 25 ans, j'ai reçu une bourse de 25 000 dollars du Rotary Club pour mon Mastère en Administration des Affaires. Dix-huit mois plus tard, j'ai terminé le programme.
Puis tout s'est arrêté net.
Un mensonge avait tout changé.

Bien que les gens ne me comprenaient pas toujours, ils m'avaient respecté et avaient cru en moi. Ils ont vu en moi le potentiel d'accomplir de grandes choses.
Mais soudain, je me suis retrouvé du mauvais côté de l'équation : un ennemi de l'État. En un clin d'œil, je suis passé du statut de jeune homme honorable et intègre à celui de criminel malfaisant, dépravé et menteur.
Et tout cela sur la seule base d'un simple mensonge.
Je suis devenu l'Accusé.
Rien de ce que j'ai dit ou fait n'était suffisant pour me défendre contre la nouvelle perception qu'ils avaient de moi. Les rôles avaient été inversés et les dés étaient jetés.

J'ai été envoyé en prison pour une très longue période.

Dix-huit ans plus tard, je suis toujours encore dans la même situation. Chaque jour, je suis confronté à des attitudes laides et haineuses de la part de membres du personnel de plusieurs années mes cadets. Peu importe combien je travaille dur, combien je suis honnête, ou combien de fois je fais mes preuves, mon statut ne changera jamais. Je ne pourrai jamais obtenir un poste plus élevé. Le tout nouveau surveillant de prison de 18 ans qui vit probablement encore chez sa mère sera toujours supérieur à moi malgré son immaturité et son manque d'intégrité.

J'observe les dirigeants de prison qui prennent des décisions terribles sans tenir compte de leurs effets sur les personnes réelles. Je travaille dans des secteurs de la prison où tous ceux qui sont en position hiérarchique au-dessus de moi et qui détiennent l'autorité ont beaucoup moins d'expérience et de formation professionnelle que moi, mais méprisent toute contribution réelle d'un simple détenu.
Je suis plus digne de confiance que le personnel de ce système carcéral, mais on dit qu'on ne peut pas me faire confiance. Je suis plus honnête que presque tous mes surveillants, mais ils disent que je suis condamné à être un menteur perpétuel.
Chaque jour, je suis jugé pour un crime que je n'ai pas commis.
Mais je refuse de me laisser abattre.

Je crois toujours que je suis né pour changer le monde. « En effet, les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables. » (Romans 11.29)
En dix-huit ans, j'ai été le mentor/conseiller de centaines d'hommes. Les orphelins de père et les confus ont trouvé un but et un destin et ont réussi dans notre société. Je n'ai eu que des faveurs, j'ai dirigé des industries carcérales, j'ai apporté des innovations à des problèmes de longues dates, j'ai insufflé de la sagesse dans la vie et les décisions de gardiens de prison, et j'ai affronté la menace de mort avec une confiance pacifique.

J'ai appris que l'endroit où je me trouve n'a pas d'importance. Peu importe ce que les gens pensent ou les limites qu'ils s'efforcent de m'imposer. Peu importe combien je souffre ou si les choses ne semblent pas se dérouler comme je l'avais prévu.
Ils ne pourront jamais m'enlever la passion que j'ai dans le cœur de changer le monde, d'oeuvrer à sa transformation.

Je suis quelqu'un.
Et c'est ainsi que je compte vivre jusqu'au jour de ma mort.

Jeff

9 avril 2020 – Un nouveau traitement

    Je suis en chimiothérapie depuis août 2019. Au début, on m'a donné une combinaison de deux médicaments qui m'a rendu très malade, a fait tomber tous mes cheveux et a donné à l'eau un goût si mauvais que je ne pouvais presque plus en boire. J'avais constamment des accès de fièvre et des migraines et j'ai perdu plus de 15 kg.
    Quatre mois après le début du traitement, j'ai passé un scanner qui a montré une réduction de la taille de la plupart des cinq tumeurs que j'avais dans l'abdomen. En général, la chimiothérapie a de très mauvais résultats avec les liposarcomes, mais j'ai constamment dit aux médecins que j'avais l'intention de tomber dans les petits pourcentages d'exceptions où l'on observe une réponse complète. Nous étions tous enthousiastes de voir cette réponse, mais mon corps ne gérait pas trop bien cette combinaison de médicaments.
    Par conséquent, les oncologues ont décidé de me faire administrer le médicament principal en tant qu'agent unique, pour voir si nous continuerions à voir une réponse positive, c’est-à-dire une réduction de la taille des tumeurs. J'ai pris trois mois de plus de ce médicament en monothérapie et j'ai été ravi de constater que je n'avais pratiquement aucun effet secondaire. Mes cheveux ont repoussé, mon appétit est revenu et j'ai repris environ 6 kg.
    Mais malheureusement, un scanner à la fin du mois de mars a montré que l'agent unique ne fonctionnait pas vraiment.

3 avril 2020 - Condamnation à mort

J’ai attendu cinq heures pour voir le médecin de l’unité. Elle est nouvelle ici et elle est vraiment aimable et professionnelle, mais la voir prend beaucoup de temps. La première fois que je l’ai vue, elle a passé près d’une heure avec moi alors que nous remplissions un questionnaire médical pour ma demande de libération conditionnelle d’urgence. C’était un effort futile puisque la loi exige en gros que je sois mort ou dans un état végétatif pour pouvoir être libéré en conditionnelle de manière anticipée pour raison médicale.
Après cinq heures d’attente, le médecin m’a appelé. Alors que j’étais assis dans son bureau, elle a commencé par dire : « La raison pour laquelle je vous ai appelé aujourd’hui est que j’ai reçu vendredi un appel de Galveston à votre sujet. » C’était étrange pour plusieurs raisons. D’abord, j’avais en fait pris ce rendez-vous avec le médecin pour obtenir les résultats de mon scanner du jeudi précédent. En outre, je bénéficie du suivi continu d’oncologues dans le cadre de mes traitements en cours, et ce médecin généraliste de l’unité n’a pas vraiment un rôle actif dans ce processus de soins.
  
Par ailleurs, je devais également voir les oncologues à Galveston (à l’hôpital de la prison rattaché à la branche médicale de l’université du Texas) deux jours plus tard.

Cette nouvelle d’un appel à mon sujet n’avait donc pas trop de sens. Et notre rendez-vous venait juste de commencer.
  
« Ils m’ont appelée pour me dire que je devais programmer une biopsie immédiate pour vous cette semaine parce que votre cancer a métastasé dans votre foie et vos os », a-t-elle poursuivi.
  
Je suis des traitements de chimiothérapie depuis sept mois ou plus et cette nouvelle m’a coupé le souffle. Ma vie a défilé devant mes yeux. J’ai senti ma pulsation très fortement au niveau de mes oreilles et mon visage s’est mis à rougir comme si un train de marchandises passait par là. J’avais chaud et j’étais essoufflé, et la voix du médecin a commencé à ressembler à celle de l’enseignante dans le dessin animé de Snoopy et les Peanuts : « Wah-Wah-Wah-Wah-Wah ». J’avais envie de pleurer. J’avais envie d’abandonner. Était-ce vraiment fini ? Cette nouvelle m’avait tout simplement enlevé toute envie de me battre d’un seul coup.
  
Sauf que cette nouvelle n’était pas vraie pour ma situation. 
 
Pendant une vingtaine de minutes après cette déclaration choc, le médecin a continué à me poser des questions sur mon traitement, sur le pronostic, sur le pourquoi de ceci et le pourquoi de cela. À un moment donné, je lui ai finalement dit : « Je n’en ai aucune idée. Je savais ce qui se passait jusqu’à il y a environ vingt minutes, mais ce que vous venez de me dire vient juste de tout bouleverser. Maintenant, je n’en ai plus aucune idée ».
 
Elle m’a alors expliqué que ce ne sont pas les oncologues qui l’avaient appelée. Que c’était un certain Comité de Coordination qui l’avait contactée. C’était la première fois qu’elle recevait un appel de leur part, m’a-t-elle dit. L’appel avait apparemment été suffisamment étrange pour la conduire à passer un appel par la suite pour tout vérifier. Elle avait même parlé au service de radiologie interventionnelle (qui effectue des biopsies) et avait vérifié les informations reçues.
Mais nous en sommes enfin venus aux résultats réels de l’examen de scanner du jeudi précédent.
  
Elle a commencé à lire des informations sur mon foie, qui indiquaient que j’avais quatre petites hypodensités qui étaient « inchangées » par rapport aux derniers scanners.
  — Attendez, lui dis-je. Inchangées ?
  — Cela vous a-t-il frappé vous aussi ? m’a-t-elle demandé.
  — Ça veut dire...
  — ... qu’il n’y a pas de métastase dans votre foie. Je ne comprends pas ce qui se passe.
 
Elle a ensuite continué à lire le rapport qui détaillait toutes les tailles des tumeurs que j’ai dans l’abdomen. La plus grande était restée de la même taille (15 cm x 12 cm x 28 cm), mais avait changé de forme et descendait maintenant le long de la courbure de mon estomac. D’autres avaient grandi et l’une d’elles notamment avait plus que doublé de taille pour atteindre celle équivalente à mon poing. Cette tumeur-là pousse actuellement fortement contre mon nombril, ce qui s’avère parfois assez douloureux.
  
Pendant qu’elle parlait, je prenais frénétiquement des notes. J’avais apporté un dessin (fait par moi-même) des tumeurs et de leur emplacement avec la taille de chacune d’entre elles d’après les scanners précédents. Le médecin m’a dit que je n’avais pas besoin de prendre des notes, qu’elle m’imprimerait une copie des résultats, mais honnêtement, j’avais juste besoin de faire quelque chose pour contrôler au mieux mes pensées alors que des horreurs y défilaient pendant que la dame lisait ce rapport.
 
Elle parvint enfin à la fin du rapport où il est question des os et des tissus mous. Je n’oublierai jamais la ligne qu’elle m’a lue à ce moment-là : « Pas de lésions osseuses agressives ou suspectes. »
  — Il n’y a donc pas non plus de métastase dans mes os, lui ai-je dit, plus comme une affirmation que comme une question.
  — Non, aucune. Ça n’a pas de sens. Pourquoi m’ont-ils appelé comme ils l’ont fait pour vous faire dire quelque chose qui n’est pas vrai ?
 
Elle a été très dérangée par tout cela, comme il était juste qu’elle le fût. De mon côté, j’ai senti un soulagement enfin couler dans mes veines.
  
Il a fallu une minute pour que ma paix revienne, mais je me sentais encore presque anémique et très faible. Je savais que la dernière heure de terreur avait eu un effet très réel sur moi.
  
Pendant ce temps, le médecin a appelé l’hôpital de Galveston et a parlé à tous les services. Personne là-bas ne savait quoi que ce soit quant à un besoin de biopsie en ce qui me concerne.
  
Il n’y avait rien dans mon dossier à ce sujet, pas de notes, pas de prescription, rien.
  
Je ne sais pas si le médecin de la prison m’a confondu avec quelqu’un d’autre, ou si c’est Galveston qui l’a fait. Je ne sais pas si quelqu’un a vraiment des métastases de cancer dans le foie et les os, ou si toute cette situation n’était qu’une grosse erreur.
  
 J’ai été convoqué au cabinet du médecin aujourd’hui pour recevoir une condamnation à mort.
 Je suis juste reconnaissant que cette fois-ci, ce n’était pas la mienne.

 Jeff

2 avril 2020 - Des nouvelles de la santé de Jeff

Bonjour à tous, cela fait un moment que Jeff n'avait plus rédigé d'article !

Nous espérons que vous allez le mieux possible alors que nous nous trouvons au sein d'une crise sanitaire, mais aussi économique, devenue mondiale. Cette réalité est associée à beaucoup d'incertitudes et du coup de peurs voire d'anxiété pour bien des personnes.

Alors que je regardais un reportage parlant des effets des incertitudes sur la vie de personnes dans le cadre de la pandémie en cours, j'ai pris conscience que c'est une forme de réalité (l'incertitude) qui fait partie de la la vie de Jeff et de la mienne à un fort degré, depuis bien des années et pour diverses raisons.
Ce qui ne signifie pas que la crise actuelle ne nous affecte pas (parce que bien sûr qu'elle nous affecte), mais d'une certaine manière, nous avons l'impression d'être déjà quelque peu "formés par expérience" en ce qui concerne "vivre avec l'imprévisibilité"...
Est-ce que cela rend cette dernière plus facile à vivre? Il n'est pas possible d'apporter une réponse courte et facile à cette question, alors je ne vais même pas commencer à y répondre ici.